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D’un côté, l’insécurité alimentaire modérée ou grave touche 2,4 milliards de personnes dans le monde en 2020, dont 770 millions souffrant de sous-alimentation. De l’autre côté, deux milliards d’adultes sont en surpoids, dont 650 millions en situation d’obésité. Prise dans son ensemble, près de la moitié de l’humanité souffre d’une forme ou d’une autre de malnutrition.

La production agricole mondiale est en théorie largement suffisante pour nourrir correctement l’ensemble de l’humanité. Dans les faits, elle est cependant inaccessible aux populations les plus pauvres, dont une partie de la paysannerie elle-même. L’Inde, par exemple, est à la fois le premier exportateur mondial de riz et le pays où le plus d’humains souffrent de la faim.

À l’échelle mondiale, les fermes de moins de deux hectares représentent 84 % des exploitations agricoles, assurant un revenu de subsistance à plus d’un milliard de personnes. Cependant, elles ne couvrent que 12 % de la superficie agricole totale. Inversement, seules 1 % des exploitations font plus de 50 hectares mais concernent plus de 70 % des surfaces agricoles mondiales.

Les aliments ultra-transformés représentent environ sept produits sur dix dans l’offre des supermarchés, et 36 % des calories consommées par les Français.

Ramené au temps de travail, la majorité des agriculteurs se rémunère donc à un taux horaire inférieur à 70 % du SMIC. Pour un quart des exploitations, le revenu dégagé par travailleur est inférieur à 600 euros par mois, et ce avant même d’éventuelles cotisations sociales. De l’autre côté de l’échelle, les 10 % d’exploitations les plus rémunératrices parviennent à un revenu mensuel avant cotisations supérieur à 5 500 euros.

Sur 100 euros d’achats alimentaires, seuls 6,5 euros sont perçus par les agriculteurs français.

Dans le Sud de l’Espagne, la péninsule d’Almeria est recouverte de serres destinées à la culture intensive de fruits et légumes sur une superficie équivalente à trois fois Paris (31 000 hectares). Dans cette « mer de plastique », la main-d’œuvre se compose principalement de travailleurs saisonniers immigrés d’Afrique du Nord, logés dans des bidonvilles. Ils endurent jusqu’à douze heures par jour des conditions de travail accablantes (températures atteignant 50°C, pauses quasi-inexistantes, exposition aux pesticides et aux particules cancérigènes) et ne bénéficient pas de protection sociale ni du salaire minimum légal.

Le système alimentaire global est la première activité humaine responsable du changement climatique : il génère un tiers des émissions anthropiques mondiales de gaz à effet de serre, et correspond en France à 24 % de notre empreinte carbone totale. Cette empreinte se répartit à raison de deux tiers pour la production agricole et la fabrication d’intrants, et un tiers pour les activités de l’aval (transformation, distribution, consommation)

Au niveau mondial, l’expansion des terres agricoles est responsable de 80 % de la déforestation, les forêts tropicales étant les premières concernées. Avec elles sont détruits des écosystèmes ayant les plus hauts niveaux de biodiversité de la planète.

Le système agricole industriel dégrade les écosystèmes et, en détruisant les habitats de centaines de milliers d’espèces, se trouve être la première cause de l’effondrement de la biodiversité observée à l’échelle mondiale comme nationale.

À l’échelle mondiale comme nationale, le système alimentaire est le premier consommateur d’eau douce, qu’il s’agisse de prélèvements dans les eaux de surface (lacs et rivières) ou du puisement dans les aquifères souterrains (nappes phréatiques).

Le système alimentaire est la première cause de perturbation des cycles de l’azote et du phosphore, deux éléments essentiels aux cultures végétales. Ils se concentrent dans les zones d’élevage intensif et génèrent des pollutions majeures lorsqu’ils sont dispersés en grandes quantités dans les cours d’eau (déclin des espèces d’eau douce sensibles, zones mortes côtières, marées vertes).

Sans transformation à la hauteur de ces enjeux, le système alimentaire contemporain compromet l’habitabilité de la planète pour des millions d’espèces, dont la nôtre. Le système alimentaire se trouve par ailleurs en première ligne face aux dérèglements écologiques globaux, ce qui risque à court ou moyen terme de remettre en cause la sécurité alimentaire de la population dans de nombreuses régions du monde, et ce jusque dans les pays industrialisés.

Si réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre est une nécessité absolue pour ne pas provoquer un emballement catastrophique du système climatique, il est également indispensable de préparer nos sociétés aux conséquences inévitables du dérèglement déjà à l’œuvre aujourd’hui.

Les niveaux de sécheresse extrêmes d’aujourd’hui vont devenir la norme d’ici une trentaine d’années sur une large partie du territoire.

Lors des épisodes de sécheresse marqués de 1976 et 2003, les rendements des principales cultures ont en moyenne chuté de 20 à 30 % en France. Les épisodes intenses de sécheresse en Europe pourraient être dix fois plus fréquents et 70 % plus longs d’ici 2060.

Le déclin actuel de la diversité de la vie sur Terre est, par son ampleur et sa vitesse, comparable aux cinq grandes crises d’extinction massive des temps géologiques. Les populations de vertébrés sauvages ont perdu les deux tiers de leurs effectifs en une quarantaine d’années et environ un million d’espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction.

On estime qu’environ trois quarts des espèces de plantes cultivées – représentant plus du tiers de la production agricole mondiale – dépendent des insectes pour leur pollinisation.

Les découvertes de gisements exploitables n’ont jamais été aussi faibles et la production de pétrole conventionnel a franchi son pic à la fin des années 2000.

Le pic pétrolier risque d’entraîner dans son sillage une contraction généralisée de la consommation d’énergie, de la disponibilité en matières premières et donc du système productif.

Le transport routier fera également face à d’importantes difficultés puisque celui-ci dépend presque à 100 % du pétrole et que la transition énergétique de ce secteur est au mieux à peine entamée. Cela générera une augmentation des coûts pour l’ensemble des chaînes de production alimentaires

Le modèle agro-industriel contribue par ailleurs à l’augmenter : sélection de bactéries résistantes aux antibiotiques, concentration et homogénéité génétique des animaux d’élevage favorisant la multiplication et la diversification des pathogènes ainsi que leur transmission à l’être humain, destruction des habitats naturels augmentant les probabilités de transmission d’agents infectieux entre faune sauvage et êtres humains.

L’homogénéité des agrosystèmes contribue au déclin de la biodiversité et entretient la dépendance aux pesticides et aux engrais pour maîtriser les bioagresseurs et renouveler la fertilité des sols.

L’étalement urbain est la première cause d’artificialisation. En particulier, l’habitat en maison individuelle a été responsable de la moitié de la consommation d’espace entre 1992 et 2004, soit trois fois plus que l’extension du réseau routier et 37 fois plus que l’habitat collectif. L’artificialisation progresse trois fois plus vite que la population française et se produit à 70 % dans des zones sans tension sur le marché du logement.

La quasi-totalité des marchandises agricoles produites dans un département français est exportée tandis que la quasi-totalité des aliments qui y sont consommés est importée.

Plus généralement, la complexité technologique et l’absence de souveraineté en la matière – il n’y a par exemple plus aucune entreprise française fabriquant des tracteurs – constituent un facteur de risque face aux dérèglements globaux.

La nécessité de devenir propriétaire des moyens de production constitue un obstacle majeur à l’installation de nouveaux agriculteurs.

Sous la présidence d'Emmanuel Macron, le gouvernement a consacré près de trois milliards d’euros du plan de relance à la « troisième révolution agricole », placée sous le signe du triptyque : « numérique, robotique, génétique ». Si ces champs de recherche technologiques peuvent laisser espérer une nouvelle hausse de la productivité et de la compétitivité, ils ne répondent à aucun des enjeux contemporains du système alimentaire.

La transition agroécologique crée de fait des « actifs échoués », c’est-à-dire des actifs dont la valeur chute en raison des nouvelles pratiques et normes. C’est le cas par exemple des bâtiments d’élevage hors-sol, des serres chauffées, du matériel agricole très spécialisé (robot de traite, arracheuse à betteraves) ou des sites industriels où se concentre la majeure partie des activités agroalimentaires. La transformation des systèmes de production passe donc par la mise au point de mécanismes de compensation de ces pertes.